par Yu' » Sam 04 Fév 2006, 13:38
Déjà lu et beaucoup aimé :)
Allez, je me lance !
Bonne lecture ;)
(et puis si vous avez des commentaires ...)
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Bon, je ne suis pas sûre d'avoir eu les mots justes.
Je trouvais que ce n'était pas assez fort dans les sentiments mais j'ai eu des commentaires qui m'ont dit le contraire ...
Les bruits muets
Le silence ... Un silence lourd, pesant, étouffant même. Un silence qui pèse de sa chappe de plomb sur vos épaules. Un silence qui vous paralise. Un silence qui vous fait peur.
Je vois les gens qui bougent autour de moi. Ils marchent, ils courent, ils rient, ils pleurent, ils parlent, ils chantent. Mais c'est comme si on avait coupé le son de la télé. Comme si je regardais un vieux film de l'époque du cinéma muet. Sauf qu'il n'y a pas le fond sonor (vous savez, cette musique qui va si bien avec les images et qui fait qu'on oublie qu'il n'y a pas de paroles). Et qu'il n'y a pas d'écran devant moi. Ce que je contemple, c'est la vraie vie.
On dit qu'on s'habitue à tout, que l'humain a cette capacité. C'est faux. Ça a beau faire un mois que je suis sortie du coma avec les deux timpans déchirés, je ne me suis toujours pas habituée. Certaines personnes disent qu'elles aimeraient connaître un jour le silence absolu. Mais elles ont tort. Parce que le silence complet (quand je dis silence complet, je veux dire qu'il n'y a plus AUCUN bruit ; je ne parle pas de celui que demandent les profs à leurs élèves !), en vérité, c'est horrible. Pire que ça d'ailleurs. Ça paraît inimaginable tellement c'est affreux. Plus rien. Plus aucun son. C'est effrayant, c'est stressant, c'est invivable !
Je vois les gens qui passent et je pense. Je pense aux bruits qui m'étaient familiers. Bruits de pas, bruits de voix, bruits de rire ... Son que produisent les objets aussi : une chaise qu'on déplace, une guitare, un ordinateur qu'on allume ... Peut-on se souvenir d'un bruit ? Après tout, on peut se souvenir d'une couleur, d'une texture. D'un goût ou d'une odeur, c'est déjà plus difficile. Mais faisable. Alors, je crois que je me souviens de certains sons. J'ai l'impression de les entendre. Quand quelqu'un parle, j'ai presque l'impression d'entendre sa voix. Puis, je me rend compte que je ne peux pas, que c'est impossible. Et ça me donne envie de pleurer.
Mal-entendante. Ce serait plutôt pas-du-tout-entendante dans mon cas. Sourde, quoi ! Mal-entendante, quel doux euphémisme. Pourquoi utiliser des mots aux sens si faibles pour une vérité si cruelle ? je suis sourde, pas mal-entendante. Ils veulent nous faire avaler la pilule. Et avec du jus de fruits (voire de l'alcool), ça passe toujours mieux qu'avec de l'eau.
Moi, j'en veux pas de leurs sales gâteries. Moi, mes bruits sont devenus muets. Pas mal-parlants. Non. Juste muets. Et c'est encore pire ...
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Vitres teintées
A kusai-ni,
Elle marche, seule. Le ciel pleure et il fait froid. Elle frissonne. Elle a l'hiver ancré au fond de son âme et aucun manteau ne peut réchauffer ça.
Elle a l'impression de voir le monde à travers des yeux qui ne sont pas les siens. Des yeux vitreux. Recouverts d'un voile noir, un voile de tristesse et de honte.
Sa mère ne l'aurait jamais laissée sortir sans quelqu'un pour l'accompagner. D'ailleurs, si elle savait, elle ferait sûrement une crise cardiaque ! Mais elle, elle a besoin d'être seule. De faire le point sur tout ça. De marcher. D'y repenser, même si ça doit faire mal. Quelle que soit la douleur, il faut qu'elle l'exorcise.
Alors, en cheminant le long de la grande route, elle s'enfonce peu à peu dans les limbes de sa mémoire.
Et ses pensées errent sur cette même route. Celle de la première fois.
Elle se souvient de cette grosse voiture noire aux vitres opaques de l'extérieur. Mais de l'intérieur, on peut tout voir. Le paysage, les gens qui passent. Tout. Mais eux ne te voient pas. Des vitres teintées, ça s'appelle. Du moins, elle croit. Elle se souvient aussi de ses doigts rugueux sur sa peau d'enfants. Ses grosses mains d'adultes sur son corps si frêle. Le cuir des sièges de la plage arrière. L'odeur aussi. Un mélange de voiture neuve, de cuir et d'homme. Le malaise aussi. Un souvenir ineffaçable.
Elle secoue la tête. On dirait qu'elle s'ébroue, comme un chien pour se sécher. Sauf qu'elle, elle ne se débarrasse pas d'eau mais d'horreurs qui encombrent son esprit.
Mais elle ne peut s'empêcher d'y repenser. Et pour fuir ce cauchemar, elle n'a qu'une seule solution : continuer et finir cette histoire.
Les voitures la frôlent, sans la voir, petite ombre transparente sur le trottoir. La nuit est tellement plus silencieuse que le jour. C'est comme si elle étouffait les bruits.
Elle sent des bouffées d'angoisse remonter dans son ventre.
Boule au ventre, brûlure au c½ur, déchirure à la tête. Et puis ce vide qui l'envahit. L'impression de n'être qu'une poupée de chiffon, qu'un pantin qu'on manipule à sa guise. Elle était une étrangère à l'intérieur d'elle-même. Et aujourd'hui encore, cette sensation perdure. Son corps lui échappe et son esprit semble en suspens. Comme si les pensées étaient trop dures et qu'elle préfère les oublier.
Elle devait rentrer un peu plus tôt ce soir-là. Ce fameux soir où tout a commencé. Mais son cours de piano s'était éternisé. Puis, une voiture avait ralentit à sa hauteur. Une vitre qui se baisse, une porte vers l'enfer. Son visage calme et enjôleur. Une envie de vomir à ce souvenir.
« Tu montes ma chérie ? Allez, viens ! Je vais te ramener »
Sa mère lui avait répété cent fois de ne jamais monter dans la voiture d'un inconnu. Mais lui, ce n'était pas un inconnu. C'est peut-être ça, le pire.
Et cela avait duré trois mois. Une éternité pour elle. Puis, elle avait craqué. C'était l'époque où de plus en plus de petites filles disparaissaient, où la pédophilie était d'actualité. Ses parents lui en parlaient beaucoup. Alors, elle avait osé.
Elle se rappelle. L'effroi dans les yeux d'une mère.
Quand elle l'avait appris, elle avait tremblé. Ses yeux s'étaient embués. Puis la colère, dans sa voix, dans ses mouvements brusques. Mais pas contre sa fille. Contre LUI. Contre ce prétendu ami de la famille qui avait brisé son enfant. Elle l'avait serrée à l'étouffer dans l'abri de ses bras. L'avait consolée, cajolée, rassurée. Elles étaient restées un long moment, enlacées, silencieuses. Puis la mère, ravalant ses larmes avait écouté cette douloureuse histoire, avait posé des questions, avait serré les poings le plus fort possible, avait retenu sa haine. Puis, le soir, elle l'avait expliqué à son mari. La petite fille avait entendu la fureur de son père. Etait-ce de sa faute à elle ? Un baiser volé dans son demi-sommeil l'avait convaincu du contraire.
Ce qu'ont fait ses parents ? Elle l'ignore. Et elle ne veut pas savoir. Mais il n'est plus jamais reparu dans sa vie. Plus jamais. Alors le reste n'a pas d'importance.
Et ce n'était pas sa faute. Pas sa faute. Ses parents lui ont assez répété. Et ils l'aiment. Ils l'aiment vraiment. Alors la vie peut continuer ! Comme avant !
Et malgré la pluie, et malgré l'eau qui inonde ses yeux, à cette pensée, la petite fille esquisse un pâle sourire.
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Il est enchaîné, tout près de moi. Son visage est crispé. Sa respiration s'accélère.
Si je n'avais pas aussi peur, je remarquerais peut-être combien il est beau. Mais, après, tout, je le remarque. C'est peut-être que je n'ai pas aussi peur que je le pense.
Non, je n'ai pas peur. Je suis plutôt confiante. La mort ne peut pas être pire que tout ce que j'ai vécu. Enfin si, peut-être. Mais je préfère ne pas y penser. Je préfère imaginer que c'est comme une délivrance.
Les soldats nous mettent en joue. Son corps tremble et avec lui, tous ceux de la longue file d'hommes et de femmes, collés, dos au mur, à nos côtés.
Je sais que bientôt j'entendrais une détonnation. Puis qu'un morceau de métal transpercera mon corps. Mais je ne peux m'empêcher de le regarder. Mes yeux ne peuvent pas quitter son profil régulier.
Le commandant hurle, les sous-fiffre tirent. Je me raidis en attendant l'ultime minute. Et je prends sa main dans la mienne.
Il me sourit et j'emporte ce sourire avec moi dans l'au-delà.
Je me réveille. Et je laisse mon regard errer sur le gris de ma cellule.
Ce n'était qu'un rêve. Un si doux rêve.
Mon exécution est demain.
Et face aux hommes armés, je serais seule.
« Si j'y vais, ce n'est pas pour mourir mais pour me prouver à moi même que je suis encore vivant. »