Le Monde du 18 octobre 2007 a écrit :Piratage : le gouvernement voudrait faire passer sa préférence en catimini
LEMONDE.FR | 16.10.07 | 19h14 • Mis à jour le 18.10.07 | 11h48
a ministre de la culture et de la communication, Christine Albanel, a reçu, vendredi 12 octobre, le président de la FNAC, Denis Olivennes, pour faire un point d'étape sur la mission de lutte contre le téléchargement illégal, qu'elle lui a confiée le 5 septembre. Alors qu'une solution de riposte graduée semble se profiler, c'est au Sénat que risque de se gagner la bataille, en toute confidentialité.
M. Olivennes a fait un bilan des auditions effectuées, qui devraient s'achever à la fin du mois. La commission a déjà pris les avis de représentants des ayants droit, de fournisseurs d'accès à Internet, de consommateurs et de diffuseurs de contenus. Le président de la FNAC a par ailleurs souligné que "les acteurs, ouverts et coopératifs, sont manifestement désireux d'aboutir à une solution commune qui permette de prévenir le piratage et de développer l'offre légale".
Trois points de consensus ont été repérés : la mise en œuvre, inspirée d'exemples étrangers, d'un système d'avertissement en cas de téléchargement illégal et de sanctions infligées en fonction de la gravité des actes, la recherche d'assouplissements des modalités de téléchargement légal des fichiers (interopérabilité, rapidité de mise à disposition des œuvres) et la poursuite des travaux sur la question du filtrage des contenus illicites (aspects technique et juridique). Pas de grandes avancées donc depuis la loi Dadvsi, mise en place en 2006 et aussitôt annulée par le Conseil constitutionnel en juillet de la même année.
MISE EN GARDE RÉPÉTÉE DE L'APRIL
Pourtant quelques heures plus tard, des représentants de l'April (Association pour la promotion et la recherche en informatique libre), d'Odebi et de Stop DRM ont été auditionnés. Et le consensus exposé par Denis Olivennes dans la matinée n'était plus de mise. Selon le texte de l'intervention publié à l'issue de ces entretiens, ces derniers, en s'appuyant notamment sur le rapport commandé par le ministère de la culture au professeur de droit Jean Cédras, montrent que les mesures envisagées de riposte graduée seraient en totale contradiction avec les droits fondamentaux des citoyens. De plus, ces mesures n'auraient, toujours selon l'April, que des effets limités dans les volumes de fichiers échangés, et risqueraient a contrario de dégrader encore plus l'image des acteurs de l'industrie culturelle qui soutiendraient ces principes.
La solution serait donc de revenir à un aménagement de la loi Dadvsi qui permettrait de rétablir la libre concurrence. Car surveiller la partie visible des transferts sur le Réseau ne serait forcément pas efficace, puisqu'elle ferait automatiquement surgir de nouveaux réseaux et systèmes d'échanges invisibles.
Dans le même registre, le projet de loi du gouvernement relatif à la lutte contre la contrefaçon, lui-même issu d'une directive européenne particulièrement favorable aux grandes entreprises, - et dont le rapporteur, Janelly Fourtou, est la femme du Président du conseil de surveillance du groupe Vivendi Universal -, devrait être adopté mercredi 17 octobre en seconde lecture au Sénat. D'après l'initiative EUCD.INFO ce texte faciliterait la mise en place de "polices privées sur le Net" et amènerait de nouvelles mesures de répression numérique : il deviendrait alors l'outil idéal pour la mise en oeuvre de la riposte graduée, chère au gouvernement et seule solution pour l'instant pressentie par la commission Olivennes.
Olivier Dumons
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Free innove et dérange à la fois
Mme Albanel s'est lancée la même semaine dans une croisade antipiratage. Elle rencontrait à cet effet, jeudi 12 octobre, Maxime Lombardini, directeur général de Free. Au menu des discussions, le service de téléchargement de gros fichiers. Ce dernier était directement mis en cause par la ministre, et sa fermeture posée dans la balance pour l'attribution de la 4e licence de téléphonie mobile à Iliad, la maison-mère de Free. Au-delà de lier deux dossiers complètement disjoints, il y a cette volonté de pointer Free comme un acteur majeur du piratage, là où ce dernier ne fait que mettre en place des technologies déjà utilisées par ailleurs, y compris au ministère de la culture. Ces principes d'échanges de disques durs à disques durs, via des réseaux privés chiffrés ou des services comme celui de Free "ne peuvent être ni interdits, ni filtrés, ni surveillés sauf à faire de la France la Chine", comme le souligne l'April. Outre un déficit d'image qu'amèneraient des telles mesures, la France pourrait être également passible de sanctions européennes pour atteinte aux droits fondamentaux des citoyens.
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Le Monde du 18 octobre 2007 a écrit :Les associations de défense des internautes dénoncent le projet de loi sur la contrefaçon
LEMONDE.FR | 16.10.07 | 19h42
ercredi 17 octobre, le Sénat examinera en deuxième lecture le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, transposition en droit français d'une directive européenne de 2004. Brevets, marques, mais aussi propriété littéraire et artistique : en 45 pages, le texte introduit de nouveaux moyens de lutte contre la contrefaçon, qu'il s'agisse de vêtements, de médicaments ou de morceaux de musique.
C'est ce dernier point que critiquent vivement plusieurs associations, qui s'étaient déjà opposées en 2005 à la loi Dadvsi (directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information). "La France a décidé d'aller au-delà de la directive", analyse Christophe Espern, co-fondateur d'EUCD.info. "Le texte européen prévoyait une notion de 'contrefaçon à l'échelle commerciale', et faisait donc la différence entre l'internaute qui télécharge de la musique et le réseau mafieux. Cette précision excluait de fait les usages à but non lucratif, et protégeait donc les gens qui exercent simplement leur droit à la copie privée. Ce n'est plus le cas dans la transposition française de la directive."
Les députés et sénateurs auraient donc décidé de renforcer l'arsenal législatif contre les internautes qui téléchargent de la musique ou des films ? Non, répond Laurent Béteille, sénateur UMP de l'Essonne et rapporteur du projet de loi. "D'ailleurs, dans le projet de loi déposé par Bercy, cette notion d'échelle commerciale ne concernait pas le droit d'auteur. Nous l'avons supprimée de l'ensemble du texte dans un souci de simplification. Pour qu'on puisse s'y retrouver dans cette partie du droit, il est nécessaire de gommer certains particularisme et d'unifier les textes, dans l'intérêt de tout le monde."
UN RÔLE ACCRU POUR LES JUGES
Pour Christophe Espern, d'autres parties du texte posent problème. Selon lui, l'article 32 du texte permettrait notamment à l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) de s'auto-saisir, ce qu'elle ne peut pas faire aujourd'hui. "L'ALPA deviendrait à la fois juge et partie. De plus, le texte donne aux juges un rôle particulièrement complexe : ils doivent 'prendre en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner'. Comment estimer le manque à gagner pour une industrie entière ? A terme, on va aller vers des amendes forfaitaires, des sanctions automatisées, avec tous les dérapages que cela sous-entend."
Un faux procès fait au texte, pour Laurent Béteille. "Les juges ne sont pas idiots : on ne sanctionnera pas de la même façon quelqu'un qui reproduit pour son usage personnel ou qui le fait en grandes quantités pour la revente. C'est déjà ce qui se fait à l'heure actuelle."
Avec une nuance supplémentaire : la jurisprudence sur le sujet n'est pas encore fixée. Alors que le téléchargement ou la copie de DVD pour un usage personnel étaient généralement jugés comme une extension du droit à la copie privée, la Cour de cassation a jugé en mai 2006 que ces pratiques constituaient bien une violation de la loi.
Damien Leloup